Molinay, le contraire de Spintay

Article de LAURENCE WAUTERS - Le Soir

mercredi 15 octobre 2008, 09:01

Dans les années septante, se souviennent les anciens du Molinay, on appelait le quartier « le petit Paris ». Les gens y venaient de Liège pour fréquenter ses commerces spécialisés de qualité. Il fallait faire attention aux voitures, le samedi, tant les trottoirs étaient encombrés de passants. Aujourd’hui enclavé entre un haut-fourneau ronronnant et le bas de Seraing auquel il n’est plus relié que par un sombre passage sous voies, le quartier a conservé les yeux tournés vers son passé prestigieux. Et avait exprimé sa déception de figurer tout juste hors des frontières du Masterplan qui redessine la vallée, lors des premières esquisses présentées à l’orée du nouveau millénaire. Ses habitants ont fait part de leurs envies au tissu associatif mobilisé, la Ville vient de décider de les suivre en élargissant ses plans. C’est ici, à l’entrée du quartier, que débutera le grand chantier de reconversion dans moins d’un an.

Le Molinay, c’était aussi le lieu symbole des luttes sociales et de l’engagement des Serésiens. Cette passerelle métallique qui reliait le quartier au centre-ville, sur laquelle Julien Lahaut avait prononcé des discours et d’où avaient démarré de grandes grèves. Ces rues portant les noms de militants ou philosophes sérésiens… La passerelle a été démolie en 1985 et remplacée par l’inhospitalier tunnel sous voies. Certains des anciens commerces de la rue Molinay, l’artère principale, ont conservé leurs enseignes d’antan. On peut encore y voir, sous une épaisse couche de poussière, des affiches d’époque. Mais leurs volets ont rouillé, leurs vieilles portes ne sont plus poussées que par les occupants des étages. Certaines façades ont été conquises par la végétation.

Le quartier semble grisonnant, déglingué. Mais il n’est pas pour autant inanimé. Ici, c’est dans la rue qu’on se tisse son réseau d’amis, qu’on discute. La communauté italienne, fort présente d’antan, s’est bigarrée avec l’arrivée d’habitants venus de Turquie, de Pologne, puis de l’Est, d’Afrique et d’Indonésie. Le boulanger turc côtoie le restaurateur grec, les musiques se mêlent, la diversité culturelle est devenue la dernière richesse des lieux.

C’est ici que le Centre d’Action Laïque (CAL) a installé son antenne serésienne il y a onze ans, pour développer les contacts entre les habitants et tisser des liens entre la dizaine d’associations présente au Molinay. « Nous avons d’abord pris le temps de rencontrer les habitants, de mener des projets avec eux, de relayer leurs envies auprès de la Ville pour aménager les lieux. Ca a d’abord été des animations, un espace de jeux, l’aménagement du parc de la crèche… », explique Cécile Parthoens, directrice adjointe du CAL à Seraing.

Pour plonger dans le quotidien du quartier et récolter les confidences de l’ensemble de ses habitants, les animateurs du CAL ont ensuite organisé de nombreux « Paroles et café », dans les établissements horeca du coin. Ils y ont fait se rencontrer les gens en tête à tête, qu’ils soient habitants, éducateurs ou techniciens de la Ville. Ils ont récolté l’ensemble de leurs idées, ébauché avec eux le quartier rêvé.

Puis est venue l’heure de découvrir les premières esquisses du périmètre de rénovation urbaine sur 800 hectares de la vallée. Qui intégraient un large passage sous voies aéré et verdurisé pour remplacer l’autre et mettait le centre culturel en valeur, mais s’arrêtait initialement à la frontière du quartier. « Cette reconversion, c’était une chance que le Molinay ne pouvait pas laisser passer. On a accentué le travail de récolte d’informations, on s’est fait épauler par l’institut Jules Destrée pour appliquer une méthode prospective. C’est ainsi qu’est finalement né Molinay 2017 : on a imaginé le Molinay dans dix ans », explique Cécile Parthoens.

Erigès, régie communale autonome et bras armé de la Ville pour la reconversion, a été intégrée aux réunions. Le CAL, rejoint par le centre culturel, la maison de jeunes, l’« espace quartier » de la Ville et les autres acteurs associatifs du coin, a demandé à un urbaniste de penser à de petits aménagements qui pourraient tout changer. Il a réalisé un épais recueil sur le développement du quartier et un film exposant l’ensemble de sa démarche. Le tout a été déposé au collège de Seraing en juin dernier.

Entre-temps, la Ville a décroché des subsides européens pour le tunnel sous voies et le désenclavement du centre culturel. Les réflexions amenées par les 1.500 habitants du quartier et déposées aux élus ont apporté des « plus » aux gros projets subsidiés : on devrait transformer la moitié de deux artères principales en piétonniers pour augmenter l’activité horeca autour du centre culturel, aménager parc et terrain de pétanque, verduriser les lieux grisonnants. Le bureau Greisch doit remettre ses dessins fin novembre, et une étude de mobilité doit plancher sur le contournement d’une partie du quartier. Après, pour ces façades tristes que les propriétaires n’ont pas les moyens de rhabiller, le CAL étudiera les possibilités de les remettre en couleur. De ramener ainsi à peu de frais de la gaieté…

Dans dix ans, le Molinay doit avoir conservé son âme, mais retrouvé sa fierté. « Les gens sont heureux de vivre ici, ils veulent juste du changement. Ce qu’il faut, c’est arriver à prolonger le rayonnement du centre culturel, de faire de la multiculturalité un attrait culturel supplémentaire. Que les visiteurs du centre culturel déposent leurs voitures hors du quartier, juste pour le plaisir de s’y promener. »

Dans ce Molinay qui ressemble tant au Spintay de Verviers, les promoteurs ne dicteront pas leur loi, les habitants ne se verront pas contraints, par la plus-value des immeubles, de déménager. Le quartier veut procéder à l’inverse de ce qui se fait dans d’autres zones ravagées par le déclin économique. Et montrer avec un projet porté par tous que ça peut marcher.

Merci Louis pour la transcription de cet article. J'avais mis un lien il y a quelques jours dans la rubrique "Projet Spintay: voici la 3e enquête publique", mais personne n'a réagi. J'espère qu'avec le texte in-extenso, ce sera plus facile.